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L'histoire
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L'histoire en format pdf
Tête de chapitre
     
 

Le repas fut copieux. il y avait de tout et en bien trop grande quantité. Le vin, la bière, le whisky et le gin coulaient à flot faisant beaucoup de malades et de personnes ivres. Pourtant tout le village était là, monsieur le curé, l'avocat, le notaire, l'épicier et tous les colons. Je refusai net de danser plus avant dans la nuit et, fatiguée et un peu triste, je partis me reposer. 

Notre Dame d'Auvergne
Il est temps peut-être de dire que le nom de notre colonie vient d'une Piéta du XVème siècle; le peuple auvergnat reconnaissait à cette statue de Notre Dame des Douleurs des vertus miraculeuses. C'est le père Boyer, fondateur de la paroisse de Ponteix, qui la fit venir de Clermont-Ferrand en 1908. Aujourd'hui, elle est l'objet, tout particulièrement le 16 juillet, de la vénération et de la piété, non seulement des fidèles de Ponteix, mais de ceux du diocèse de Gravelbourg, qu'ils soient anglais, français ou allemands.

 
 

 

L'histoire de cette piéta qui a été sauvée lors de la révolution française est assez extraordinaire. L'abbé Boyer avait chargé monsieur Schaeffer, un auvergnat, de veiller sur elle durant la traversée mais des membres de l'équipage, anticléricaux fanatiques, voulurent jeter à la mer la statue et son gardien; le capitaine du paquebot dut intervenir et les protégea dans sa cabine jusqu'au terme du voyage.

Mais arrivé à Swift Current, monsieur Schaeffer, dont on peut imaginer les sentiments, ne retrouva pas la précieuse statue dans ses bagages. Ce n'est qu'un an plus tard qu'il reçut un avis l'informant qu'un grand colis l'attendait à la gare; il y trouva, fou de joie, la piéta en parfait état de conservation. 

Placée sur l'autel de la première église de Ponteix, la statue fut l'objet de prières et d'actions de grâces. La petite église fut bientôt trop petite, aussi en construisit-on une nouvelle plus vaste, mais un soir de plein hiver, vers 21 heures, un incendie détruisit cette église. Seule, la statue fut miraculeusement sauvée, c'était la troisième fois depuis le quinzième siècle; elle trône aujourd'hui sur un autel dans la magnifique église de briques qui a coûté 250.000 dollars entourée de nombreux ex-voto dont celui offert par François et qui porte son nom.

Le progrès ... et la der des der arrivent
En 1912, le chemin de fer arriva jusque Neuville à vingt cinq kilomètres de Notre Dame d'Auvergne, ce qui nous permit d'avoir du charbon. En 1914 le train parvint à Notre Dame d'Auvergne en passant au milieu de notre ferme. Un peu plus loin une gare nommée Ponteix fut construite qui donna naissance par la suite à l'une des plus jolies villes de la province.

Henri qui avait alors seize ans était devenu un beau jeune homme; il se mit à ce moment là à travailler la ferme avec des machines agricoles. Papa, lui, vendait le lait de nos cinq vaches; il cultivait en outre un grand jardin qui produisait beaucoup et permettait au budget familial d'être moins serré.

En avril 1917, maman souffrit terriblement d'ulcères à l'estomac et fut si proche de la mort que monsieur le curé Boyer lui administra les sacrements. J'avais quitté momentanément le couvent pour la soigner. Elle se remit miraculeusement après que mère Marie Emmanuelle, la supérieure du couvent lui eût fait boire de l'eau ramenée de Lourdes. Papa, sous l'action du soleil d'été et des soins qu'on lui prodiguait se porta mieux aussi.

Jusqu'en 1918 nous connûmes des années sinon d'opulence, du moins relativement faciles. Henri fut appelé à se battre sur le front où tant des nôtres se trouvaient ou bien avaient péri. Notre père en eut le cœur brisé, quant à François, il était inconsolable. Par bonheur Henri ne fut pas blessé, mais à la fin de la guerre il fut envoyé dans les Balkans pour participer à l'occupation.

Papa qui souffrait de rhumatismes vendit alors la ferme à crédit à un certain monsieur Courchène heureux d'acquérir une ferme à si bon prix pour en faire de l'élevage. C'était pour lui une bonne affaire car le village prospérait et tout se vendait bien.

Mes parents connurent beaucoup de tracas avec leurs nouveaux voisins; ils n'avaient plus qu'une vache et quelques poules et maman devaient laver du linge au couvent et à l'hôpital pour dix sous de l'heure. François âgé de quinze ans et qui venait de quitter l'école dut se mettre à travailler, un labeur bien lourd pour son âge. 

Le retour
Henri revint à la maison en 1921; ses grandes qualités de conducteur de machines agricoles devaient nous permettre de vivre mieux, mais papa qui avait le mal du pays souhaitait retourner en France. Maman, elle, se plaisait bien au Canada dans sa paroisse de Ponteix où elle ne comptait que des amis. Finalement à l'automne de 1923 la famille quitta ce grand pays où elle avait vécu plus de quinze années. Je les vis partir avec tristesse.

Henri qui avait vingt cinq ans épousa Raymonde Auzas de Joyeuse qui devait lui donner trois enfants : Raymond, Bernadette et Simone. Il revint à Ponteix dans notre ferme que mes parents avaient pu récupérer. Dans les années qui suivirent les récoltes furent abondantes et la paroisse connut une forte expansion.

Quant à François qui avait dix huit ans, il s'enrôla dans l'aviation et partit faire la guerre au Maroc.

Peu de temps après papa attrapa froid en travaillant sous la pluie au jardin de Loriol; en revenant à Joyeuse où la famille avait élu domicile au retour du Canada, il fut pris d'une crise de rhumatismes aigüe. Il souffrit le martyre pendant une année et mourut le 6 septembre 1925 en prononçant les paroles du larron : « Seigneur Jésus, souvenez-vous de moi dans votre saint Paradis ». Sur son lit de mort les horribles souffrances qu'il avait endurées n'apparaissaient plus, tant il paraissait détendu et presque souriant m'écrivit maman. Il fut inhumé dans le cimetière de Joyeuse.

Maman après la mort de papa se sentit bien seule car François n'était pas encore rentré du Maroc. Il revint toutefois peu de temps après et avec l'accord de maman, il monta une petite fabrique de casquettes à Lyon. Il y épousa une charmante lyonnaise, Philippine Magat qui lui donna deux fillettes adorables, Lucienne et Suzanne.

Mais vivre dans des bureaux ne convenait pas à François qui reprit du service dans l'armée de l'air où il réussit très bien puisqu'il finit commandant après s'être distingué pendant la guerre 40 où sa bravoure lui valut plusieurs citations.

Maman qui finalement se retrouvait seule, entra en 1934 comme pensionnaire à l'institution Sainte Angèle de Beaujeu. Elle devait y rester jusqu'au 10 mars 1945 date de sa mort. Elle y vécut paisiblement sinon heureuse ses onze dernières années entourée des soins et de l'affection des sœurs. Elle mourut à l'issue d'une courte maladie, sereine, considérant avoir assez vécu.

Sentant venir les derniers moments, elle demanda aux soeurs de lui chanter le cantique :

"Mère de l'Espérance,
Mère du bel amour,
Tu bénis mon enfance,
Bénis mon dernier jour."

François se trouvait en stage aux Etats Unis et moi-même dans mon couvent au Canada; par bonheur Henri qui venait d'arriver put l'assister dans ses derniers instants et maman s'endormit pour toujours. Malgré ma peine, j'entonnai un Magnificat car j'étais sûre que sa vie de travail, de prière et de dévouement lui valait une place de choix au Paradis.

Alléluia
J'ai voué ma vie à Dieu et me suis mise très jeune sous la protection de Notre-Dame d'Auvergne, aussi ne puis-je mettre un point final à ce récit sans rapporter ci-dessous le cantique que le Père Marie Albert Boyer, fondateur de la paroisse de N-D d'Auvergne devenue paroisse de Ponteix, composa au mois de mai 1908, sur l'air de "c'est le mois de Marie".
 

Dans cette immense plaine,
Nous venons tout joyeux,
Te tailler un domaine,
Douce Reine des Cieux.

Désormais tendre Mère,
C'est ici ton séjour,
Et sur ce coin de terre,
Régnera ton amour.

A toi donc, ô Marie !
L'onde de ces ruisseaux
Et ces vertes prairies,
Et ces riches coteaux.
 

A toi que l'on implore,
Quand on veut réussir,
Nous te vouons encore
Nos projets d'avenir.

Dans cette colonie,
Canadiens et français,
Par toi, Mère chérie,
Attendent le succès.

Que dans cette paroisse
Fondée en ton honneur,
La foi s'implante et croisse
Dans l'amour du Seigneur.

Qu'enfin sans défaillance,
Te servant en ces lieux,
Près de Toi l'espérance,
Nous mène un jour aux Cieux.

Notre Dame d'Auvergne, abîme de clémence,
Etend sur ce pays ton règne protecteur.
Bénis le Canada, fils de la noble France,
Et sois notre avocate auprès du Rédempteur.
 

Rédaction : Sœur Marie Augustin B.
Sur une idée de Lucienne C. née B.
Décryptage du manuscrit et ré-écriture : Jacques Gourvennec
Graphisme première de couverture : Yann Gourvennec
Direction éditoriale : Sylvie Colleu-Gourvennec
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