![]() |
|||||||||||
![]() |
|||||||||||
![]() ![]() |
|||||||||||
![]() |
|||||||||||
![]() |
|||||||||||
![]() |
![]() |
![]() |
![]() |
![]() |
![]() |
![]() |
![]() |
![]() |
![]() |
![]() |
Au mois d'octobre 1909 il m'arriva une mésaventure qui décida de ma vocation, j'avais alors treize ans. Nous manquions de beaucoup de choses et la bourse de mes parents devenait bien plate. Une opportunité se présenta à moi de les aider. Dans la prairie immense vivaient des "ranchers" qui possédaient de gigantesques troupeaux; ces ranchers fournissaient des bêtes aux nouveaux arrivants et en tiraient un grand bénéfice. Monsieur H., l'un de ces ranchers, américain, cherchait une servante; il vint en parler à la maison. Malgré mon jeune âge et mon inexpérience, il m'offrait dix dollars par mois, nourrie et logée, une aubaine pour notre famille. |
||
Mais le ranch se trouvait à cinquante milles, soit quatre vingt kilomètres au sud de notre colonie, isolé dans une vallée fertile où coulait une grande rivière. Toutes sortes de fruits sauvages poussaient dans cette vallée, des cerises, des groseilles, des fraises et les délicieux saskatoons qui mêlent le goût de plusieurs fruits; il y avait aussi de nombreux champignons rosés et blancs. Les indiens qui naguère vivaient là de la pêche et de la chasse avaient fui vers le nord à l'arrivée des blancs. Quitter ma famille pour la première fois me faisait peine et mes parents, malgré leur tristesse, me supplièrent d'accepter ce sacrifice. Je partis donc le lendemain matin maîtrisant mal mes larmes, le 26 octobre 1909 de triste mémoire, avec ce monsieur H. âgé d'une cinquantaine d'années. J'avais pris soin de mettre sur moi mon scapulaire et ma médaille sainte; je portais mon chapelet que je récitais sans arrêt. Cela énerva ce monsieur H. qui tenta de me les arracher, mais je résistai si bien tout en pleurant qu'il finit par me les laisser. Plus tard il tenta de me caresser, je me reculai chaque fois en gémissant. Le soir vint enfin et il nous fallait camper près d'un lac. Il fit d'abord boire ses chevaux et les attacha à un piquet puis prépara une seule litière près du chariot. Il faisait très froid et je me demandais où j'allais passer la nuit. Je ne parlais toujours pas un mot d'anglais, aussi me fit-il signe de me coucher, ce que je fis à même le sol. Il me fit comprendre qu'il voulait que je me déshabille, ce que je refusai énergiquement; il vint alors s'allonger à côté de moi et essaya de me toucher mais en vain car soudain une farouche résolution et une force que je ne me connaissait pas m'habitèrent. Le riche rancher tout fier de son bétail et de sa fortune renonça et se mit à fumer des cigares à l'écart. C'est à ce moment là que je décidai de faire vœu de virginité et de me consacrer entièrement au Christ. A l'aube, l'homme dut partir à la recherche des chevaux qui s'étaient détachés. je ne le revis plus car je décidais sur le champ de rejoindre la maison au plus vite. A jeun depuis la veille, sans eau, portant mon pauvre balluchon, j'avais une quarantaine de kilomètres à parcourir d'une piste à peine visible. Une bande de petits loups affamés me suivait en hurlant d'une façon lugubre et il était vain d'espérer rencontrer âme qui vive. Je marchais le plus vite que je pouvais tout en récitant sans cesse des prières. Le soir à la nuit tombée, affamée et épuisée, j'arrivai près d'une cabane inoccupée. Je suppliai Dieu qu'il y eut de quoi me restaurer, mais il n'y avait que de l'eau, du beurre et du sucre. Je bus un verre d'eau sucrée qui me fit tout de même du bien; je passais malgré tout une bonne nuit sur une paillasse posée à même le plancher. Le lendemain matin alors que je m'inquiétais de l'orientation à prendre, j'aperçus au loin, sur une colline, le clocher de notre petite église. Des ailes me portaient pour parcourir ces derniers kilomètres et j'arrivais bientôt à la maison encore endormie. Je frappais à la fenêtre en criant : ouvrez-moi ! j'ai faim ! Mes parents surpris et en même temps soulagés car la décision de me placer les avait laissés mal à l'aise, m'accueillirent à bras ouverts. Tout en prenant un solide petit déjeuner, je dus raconter ma triste aventure qui fit pleurer maman. Pendant sept ans je fus servante ici ou là et j'ai dû affronter d'autres sollicitations, mais jamais je ne faillis à ma parole. En 1917, pour mes vingt et un ans je suis entrée au couvent de Notre Dame où je coule encore des jours aussi paisibles que possible en attendant la mort et, je l'espère, l'entrée au Paradis. La misère Le bureau de placement de Winnipeg nous trouva de bonnes familles, mais l'air de la ville ne nous convenait pas et au bout de trois mois le médecin de l'hôpital Saint Boniface nous conseilla de retourner dans notre campagne. Maman se mit alors à faire des lessives pour le compte des colons. Puis papa, souffrant de sciatique et de lumbago dût arrêter de travailler; seule la chaleur le soulageait mais, faute d'argent, la maison n'était pas chauffée entre 18 heures et 9 heures. Nous souffrions du froid mais aussi de la faim; lorsque les pauvres ont des problèmes de santé, ils deviennent rapidement des miséreux. Heureusement notre foi en Dieu et en la Vierge nous armait de résignation et de patience qui nous aidaient à supporter ces souffrances. Noce métis Le jour de la noce arriva; tôt le matin ma patronne, de fort bonne humeur, s'occupa de ma toilette. Après m'avoir coiffée, poudrée et parfumée, elle me passa une robe blanche garnie de dentelle, des bas et des souliers jaunes et orna mes cheveux et ma ceinture de rubans roses. Un chapeau de paille de riz agrémenté d'une guirlande de roses parachevait la métamorphose. Lorsque madame Lorenzino me demanda de me regarder dans une glace, je ne me reconnus pas tout de suite, et pour la première fois de ma vie, j'eus la faiblesse de me trouver belle. La cérémonie fut paraît-il très réussie, on me le dit par la suite, car pour ma part, j'étais trop mal à l'aise pour m'en apercevoir. En tout cas je me souviens du bruit assourdissant que faisaient toutes sortes d'instruments de musique et du chant rauque de ces braves indiens qui me paraissait plus proche des cris que de la mélodie. La mariée portait une robe brune et un châle de laine blanche lui couvrait la tête. Elle s'appelait Marie Pritchard; son mari Daniel Whitford était plus élégant qu'elle. Elle ne fit que pleurer, alors que moi, malgré ma gêne, je m'efforçais de sourire. Mon cavalier était un métis géant ce qui n'arrangea rien. Il me fallut danser avec lui malgré mes réticences; mes souliers trop petits me blessaient et comme je manquais d'expérience et d'adresse, le résultat ne fut guère brillant. |