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L'histoire
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L'histoire en format pdf
Tête de chapitre
     
 

Maman commençait à avoir de l'âge lorsqu'en 1905 vint au monde notre frère le plus aimé de tous, le gentil petit François. Quelle fut grande l'allégresse de la maisonnée ! J'étais la plus enthousiaste de tous et ô comble de bonheur je fus choisie pour être sa marraine avec pour parrain notre oncle du Parnet des Deux-Aygues, Firmin Vielfaure. Ce brave homme ne savait ni lire ni écrire; l'école étant à dix kilomètres de chez lui, il n'avait jamais été en classe. Aussi Monsieur le Curé me demanda-t-il, lors du baptême qui eut lieu peu de temps après la naissance, de signer à sa place, ce que je fis, remplie de fierté, perchée sur un tabouret. C'était une belle journée de printemps; partout de la verdure et des fleurs. De tout mon coeur je priais pour ce mignon petit filleul en le recommandant à la Vierge Marie dont nous fêtions le mois fleuri. Henri était content d'avoir enfin un compagnon de jeux; quant à moi, je m'ingéniais à lui faire plaisir de mille manières pour le voir sourire gentiment. L'année précédente, pour mes huit ans, maman m'avait confié un premier travail de tricot; pendant les récréations je fis une longue bande blanche de plusieurs mètres pour emmailloter mon petit frère dans son berceau.

François fut choyé et dorloté comme aucun de nous; il jouissait d'une excellente santé et s'amusait à peu de frais. Maman n'eut que du plaisir à l'élever et je l'aidais si volontiers. Que de bons moments passés avec lui ! il riait toujours et ne pleurait presque pas; à six mois il commença à manger des châtaignes. Pendant que maman travaillait aux champs avec papa, je m'occupais de François, le berçais et lui donnais à manger avec beaucoup de joie car il avait toujours un robuste appétit. Mais hélas, un jour vers seize heures, un drame faillit se produire. Maman m'avait recommandé de descendre tout de suite après la classe afin de soigner mon petit frère pendant qu'elle garderait le troupeau. Comme guidée par mon ange gardien, je décidais de courir et cassais mes sabots en sautant les murets de pierres. Courant de plus belle pieds nus, j'arrivais enfin à Loriol et me précipitais dans la chambre du bébé.

Oh stupeur ! sous la porte, dans une excavation du pavé se faufilait un énorme serpent gris. M'armant d'un manche à balai, je m'apprêtais à le frapper mais il fit demi-tour et s'enfuit par le trou par lequel il était entré. Je tremblais comme une feuille et devais être d'une pâleur extrême. J'allai réveiller François qui me sourit inconscient du danger mortel qu'il venait de courir. Je le pris dans mes bras, le couvrit de baisers et lui donnai sa bouillie de châtaignes mais sans y goûter car le coeur me manquait. Quand maman rentra, elle me trouva les yeux pleins de larmes et après m'en avoir demandé la raison, elle joignit les mains dans une fervente action de grâces : "Merci Sainte Vierge, je vous l'avais confié, merci de l'avoir sauvé".

Oh Stupeur ! Sous la porte, un énorme serpent ...

 
 

 

Nous grandissions tous les trois sans être jamais malades, le bon air de nos Cévennes et la nourriture frugale y étaient certainement pour beaucoup. Nous aimions beaucoup nos parents, fervents chrétiens; tous les soirs nous priions en famille devant un crucifix et un grand tableau représentant Jésus, Marie et Joseph. Le mois de Marie était magnifique; le petit autel près de la grande horloge de la salle à manger était abondamment fleuri; je me souviens encore que, dès mes plus jeunes années, j'y déposais en grimpant sur un tabouret des vases garnis des belles fleurs des champs et des prés qui abondent en Ardèche. Déjà maladroite, je me rappelle avoir cassé un de ces vases. Nous avions pour berger un petit garçon de l'assistance publique, Joseph Rigo, que j'aimais comme un frère. Un après-midi d'août 1903 nous gardions les chèvres sur la montagne de Lubas en face de Loriol; nous y avions retrouvé notre cousine Marie C. qui gardait son troupeau. Soudain un violent orage éclata, éclairs et tonnerre se succédaient sans relâche. Marie et Joseph se couchèrent sur l'herbe, tandis que moi, étourdie et poltronne, je me cachais sous un cerisier, pour mon malheur, car la foudre tomba sur l'arbre et le mit en pièces. Je perdis entièrement connaissance et ne me rappelle pas combien cela dura. Lorsque je revins à moi, j'étais sur les épaules de papa venu à notre secours. Papa me déposa dans un lit; maman sanglotait et priait pour mon rétablissement.

Nous grandissions sans être malades, le bon air des Cévennes y était certainement pour beaucoup

Pendant un an, je devais en rester quasiment idiote : il était impossible de me faire sortir de la maison, je me tenais cachée dans un coin sans dire un mot. je ne voulais voir personne, ne reconnaissais plus mes parents ni mes frères. C'est alors que mes parents firent le voeu d'aller en pèlerinage à Lourdes pour obtenir ma guérison. Leur prière fut exaucée mais d'une manière peu commune : un jour que maman débarrassait le grenier où se trouvaient de vieilles cartouches, elle jeta le tout dans le feu sur lequel des pommes de terre cuisaient dans une poêle. Soudain une détonation retentit, la poêle et son contenu s'éparpillèrent dans la cuisine. Maman, surprise, accusa le Diable; pour ma part, affolée par ce bruit, je sortis pour la première fois depuis un an et soudainement guérie, je courus embrasser ma famille émue en me promettant de retourner à l'école dès le lendemain et de mettre ma plus belle robe pour la prochaine messe dominicale. C'était l'été 1904, j'avais 8 ans. Le 8 septembre suivant , fête de la Nativité de la Sainte Vierge, j'allais avec maman en pèlerinage à Notre Dame de Bonsecours en attendant d'aller plus tard à Lourdes.